{Nouvelle} Absurde

ABSURDE

Il se promenait sur le chemin humide, noyé dans l’obscurité. Pour une fois, il était heureux. Pourquoi ? Il ne le savait pas. Il avançait juste, sans réfléchir, profitant de la fraîcheur nocturne et de la douceur de son bien-être.
Une vision le fit soudain tressaillir : une miette. Une image s’était fugitivement glissée devant ses yeux et il avait vu une miette. Idiot. Il continuait. Il traversa un champ parsemé de coquelicots.
Il allait bientôt rentrer, rejoindra sa femme et dormir paisiblement. Mais il avait d’abord quelque chose à faire. Quoi ? Il ne le savait pas non plus. Il avançait juste, sans réfléchir. Une tasse vint se briser dans son esprit. Un éclat lui écorcha la joue. Il porta deux doigts à l’égratignure. Rien.
Il arrivait à la limite du champ. Il s’engagea sur un nouveau sentier, caillouteux, baigné dans la lumière faible de la lune. Une photo voleta devant son visage, emportée pas la brise légère. Une photo de lui et de sa femme, au temps où ils étaient encore heureux. Il continua.
Il rencontra un serpent. L’immense reptile vint s’enrouler autour de son cou et serra, le soulevant de terre. C’était une corde. Elle disparut et il se retrouva allongé à terre. Il se releva et reprit sa marche.
Il vit en chemin sa femme lovée dans un fauteuil, parcourant un livre et écoutant une douce musique, la lumière rouge du crépuscule inondant le tapis à ses pieds à travers la fenêtre. Un désir intense l’envahit quand il la vit. Puis la peur. La terreur. Son image s’évanouit.
Il comprit alors ce qu’il avait à faire : il devait se souvenir. Et il se souvint. Il avait ouvert la porte et vu sa jolie femme lui sourire. Elle l’attendait dans le fauteuil, un livre à la main. Déjà, le soleil se couchait. Elle s’était levée et l’avait entraîné vers une jolie table, avec des chandelles et un dîner, et une musique de fond. Elle lui avait demandé d’attendre à un endroit précis, debout devant la table, et s’était éclipsée vers la cuisine. Il avait attendu. Il y avait une grosse paire de ciseaux pointus sur la table. Puis il avait entendu une voix chantonner « Surprise » dans son dos et avait senti quelque chose se glisser autour de sa gorge. Il avait d’abord souri, puis avait compris. La corde se serra et le souleva. Il s’était débattu. Il voyait non loin une photo où tous deux souriaient, riaient même, et dont l’image s’assombrissait à mesure que l’air lui manquait.
La corde céda. Il se retrouva face contre terre, haletant. Une tasse était tombée près de lui et lui avait égratigné la joue en explosant. Il avait tenté de se relever mais un éclair de douleur avait traversé son flanc, le clouant au sol. Il regarda. Les ciseaux étaient plantés dans ses côtes. Il se laisser aller. C’était fini, de toute façon. Mais pourquoi ? Il ne le savait pas. sa femme n’avait peut-être pas été assez heureuse.
Une miette était tombée près de son nez. « Tiens, une miette », s’était-il dit avant de mourir. « C’est absurde. »